İdil Efe: re*vision sur Jean Dubuffet: Arabe aux traces de pas, 1948
Dans la France d’après-guerre, Jean Dubuffet a développé l’idée d’un art anti-intellectuel : « l’art brut ».
En remettant radicalement en question le système artistique et culturel de son époque, il a cherché des points de référence plus ancestraux. Inspiré par le langage formel et le vocabulaire visuel des enfants et des personnes atteintes de troubles mentaux et physiques, son œuvre est marquée par le désir de matérialiser et d’incarner l’abstrait. Selon lui, l’art devrait être une expression directe et passionnée du mouvement intérieur et instinctif.
Quel élan instinctif Dubuffet a-t-il suivi en réalité ?
1830 : Début de la conquête de certaines parties de l’Algérie actuelle. Décimation par la faim, la maladie et les déplacements forcés… Révoltes et répression de la rébellion arabo-berbère, d’une région en ébullition : après les massacres français contre le mouvement d’indépendance de l’Algérie (1947-1949), Dubuffet a séjourné dix mois dans le Sahara algérien, annexé par la France de 1873 à 1962.
Il a rédigé ses impressions en 1948 dans « Arabe aux traces de pas », basés sur les croquis de son carnet : El Golea, II 1948. (https://www.moma.org/artists/1633)
Au centre de ce format vertical se trouve la figure schématique d’un homme, à moitié de profil, à moitié de face, les mains tendues. À l’horizon, placé extrêmement haut, on peut voir deux chameaux et cinq autres figures. Le reste de l’image est parsemé de nombreuses traces de pas.
Cet « Arabe aux traces de pas », pour reprendre le titre de Dubuffet, peut être interprété comme une construction de l’Arabe à travers le regard européen, orientaliste et colonial. Car « l’Arabe » n’a pas de nom ni d’histoire. Il n’est même pas certain qu’il en soit vraiment un. À cette époque, la région d’El Golea – aujourd’hui EL Meniaa – était majoritairement peuplée de Berbères zénètes. Sous le regard blanc et raciste, ces détails restent anecdotiques. Pour la plupart des observateurs européens de l’époque, et parfois encore aujourd’hui, « l’Arabe » est un « chamelier brutal, rusé et non civilisé ». Et c’est aussi ce que l’on peut voir dans cette image : une manière brutale de construire ce que l’on suppose être « l’Autre ». De l’art brut, justement !
En s’intéressant à l’empreinte de pied comme procédé de représentation, l’artiste a lui-même laissé les traces de son regard sur « l’Autre ». Inspiré, au départ, par les photographies de graffitis de Brassaï, qui soulignaient le relief d’un mur sous un éclairage très fort, Dubuffet s’est penché sur le phénomène des sillons laissés par les graffitis. Dubuffet transpose ici cette matérialité en reproduisant le relief du mur sur la toile, à l’aide de plusieurs couches de peinture à l’huile, puis en travaillant la peinture pas encore complètement figée avec le manche de son pinceau. C’est également ainsi que j’insère mes mots dans ce texte.
Traduction : Charlotte Bomy
Dans la rubrique « anecdotes » :
Dubuffet était négociant en vin, et non autodidacte ; il est issu d’une famille bourgeoise française.
İdil Efe
İdil Efe est spécialiste en gestion et développement de la diversité dans le milieu institutionnel, elle est également curatrice, conférencière et modératrice. Elle a une longue expérience professionnelle dans le management de la diversité au Stadtmuseum de Berlin, en tant qu’administratrice de la fondation Bürgerstiftung Neukölln, ainsi qu’en tant que curatrice de projets culturels à Berlin.
Intervention artistique de İdil Efe sur Jean Dubuffet: Arabe aux traces de pas, 1948, soutenu par le programme « Weiterkommen! » du Zentrum für Kulturelle Teilhabe Baden-Württemberg.