Trois vieilles femmes, vêtues de robes, assises sur une élévation rocheuse.
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Les Nornes

Hans Thoma

Dimensions:
 77.5cm  100cm
an:
1889
lieu:
KunsthalleKarlsruhe@ZKM

Hans Thoma, artiste

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Des plis monumentaux

Plis et replis d’une matérialité rugueuse, homogène. Ce qui semble au premier regard être un exercice de dextérité en matière de représentation de tissu constitue au second une traduction sous forme de tableau d’une idéologie contemporaine.

Un musée dans le musée pour le directeur

À l’occasion de son 70e anniversaire, en 1909, Hans Thoma reçoit un grand honneur en qualité de directeur de la galerie grand-ducale de Karlsruhe, mais surtout en tant qu’artiste au succès interrégional.

Un musée Thoma lui est dédié au sein de la galerie – une aile devant célébrer les œuvres de cet artiste uniquement. Des années auparavant déjà, le grand-duc avait mandaté Thoma de concevoir et réaliser la « chapelle Thoma ». Celle-ci est également intégrée, tant sur le plan architectural que sur le plan programmatique, au musée Thoma.

Thoma fait don l’année suivante de 89 de ses tableaux à la galerie grand-ducale et crée ainsi l’important fonds Thoma de la Kunsthalle de Karlsruhe. Dans ce contexte, le tableau Les Nornes fait également son entrée dans le fonds, non pas en tant que don de Thomas, mais en tant que donation de son amie, la comtesse Luisa Erdödy.

Le tableau montre trois vieilles femmes nues dans une forêt en train de couper un fil.

En tenue nordique

Le tableau de Thomas représente une variante des Parques ou des Moires, divinités du destin de la mythologie romaine ou grecque. Alors que le thème des Parques constituait une continuité depuis l’Antiquité jusqu’au vivant de Thoma dans l’art européen, le peintre a choisi l’équivalent de celles-ci dans la mythologie nordique comme thème de son tableau.

Les trois femmes d’âges différents représentent Urd (Norne du passé), Verdandi (Norne du présent) et Skuld (Norne de l’avenir). Elles sont assises sur un rocher, connu comme source d’Urd dans la mythologie, et filent le fil du destin.

L’atmosphère générale de retenue, baignant dans un gris beige, du tableau est particulièrement frappante. L’on peut ici remarquer une caractéristique de Thoma : il lui arrive de mélanger un pigment brunâtre à son vernis et de colorer ainsi certaines parties ou la totalité de la surface du tableau.

Cela produit dans certain cas un effet de lumière du sud. Dans le cas présent, il s’agit manifestement de l’idée d’une image éloignée dans le temps, comme à travers le brouillard. Les divinités nordiques elles-mêmes n’offraient en effet pas de riche tradition picturale à Thoma.

Elles ont plutôt été « découvertes » au niveau littéraire dans le contexte de la montée en puissance du mouvement völkisch [mouvement ethno-nationaliste] de l’Empire allemand et ont trouvé une concrétisation picturale dans l’entourage de la maison Wahnfried.

Le tableau montre trois femmes vêtues de robes de couleurs différentes tenant un fil sous un arbre.

Les habits font les Nornes

Dans le cycle de quatre opéras, et œuvre principale, monumentale, de Richard Wagner, L’Anneau du Nibelung, la légende héroïque germanique est associée à la mythologie païenne germanique. Les Nornes occupent un rôle important dans cette œuvre.

C’est ainsi que le fil du destin se rompt au début de la dernière partie, le Crépuscule des dieux, la fin des dieux est proche. Les costumes des Nornes sur scène constituaient une affaire politique, en ce sens qu’elles soulevaient la question de savoir dans quelle mesure il convenait d’évoquer une tradition gréco-romaine ou une, supposée, car inconnue, tradition nordique ou germanique.

Carl Emil Doepler, le costumier de Bayreuth de l’époque, représente les Nornes sous l’apparence de femmes aux cheveux quelque peu hirsutes, mais vêtues d’un costume inspiré des idéaux classiques, tournées les unes vers les autres et tenant dans leurs mains une corde assez solide sous la protection de l’arbre de vie Yggdrasil.

Thoma s’éloigne délibérément de cette interprétation lorsqu’il transpose ses Nornes en train de méditer, telles des forces primitives indépendantes, d’une manière un peu statique, mais monumentale, dans une mise en scène austère, et qu’il renonce à parer leurs vêtements de tout bijou ou ruban.

Au lieu de miser sur l’élégance des costumes de style antique, il compte sur du lin très grossier, qui établit une unité entre les femmes dans une multitude de drapés intenses. Il contourne en grande partie la question de la chevelure en coiffant les Nornes de lourds foulards. Seul le fil du destin, conformément au thème, a quelque chose de délicat et de fragile.

Une réinterprétation cohérente

Thoma invente ainsi une iconographie pour transmettre l’idée ethnique d’une origine proto-germanique commune. Cette mise en scène radicale et, du point de vue interne du milieu ethno-nationaliste, plus moderne, de l’un des motifs centraux de Wagner permet à Thoma de faire parler de lui dans les cercles correspondants de Francfort-sur-le-Main.

Le médecin personnel de Richard Wagner, Otto Eiser, que Thoma consultait également pour les questions médicales, permet à l’artiste d’établir de bons contacts avec la famille Wagner. Il n’est donc pas étonnant que Cosima Wagner ait, dans les années 1890, chargé Thoma de concevoir de nouveaux costumes pour Bayreuth, un succès pour l’artiste.

On ne connaît pas à ce jour la date exacte à laquelle la comtesse Luisa Erdödy, importante mécène, a acquis ce tableau. L’intense correspondance entre Thoma et celle-ci ne permet pas non plus de tirer de conclusions à ce sujet.

La référence iconographique à la tétralogie du Ring de Richard Wagner ne doit cependant pas être sous-estimée car Erdödy respectait beaucoup Wagner. Cette pianiste de talent, qui avait autrefois suivi l’enseignement de Franz Liszt, avait connu un très grand succès avec ses propres compositions de lieders romantiques sous le pseudonyme de LIOS.

Elle ne cherchait pourtant pas uniquement des références à la musique dans les œuvres de Thoma. Erdödy avait également acquis son tableau Au Paradis avant d’en faire don à la galerie grand-ducale, pour le musée Thoma, en 1910 également.

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